Source : Le Café pédagogique
Christian Maroy, professeur à l'Université de Montréal, est spécialiste
des politiques éducatives.
Peut-on définir des
évolutions générales du métier d'enseignant dans les pays développés ?
De façon variable selon
les systèmes éducatifs et les sociétés, on peut avancer que le travail
enseignant se diversifie, se complexifie et s’intensifie. Les modèles de
référence et les rôles se diversifient: ils ne doivent plus seulement être un «
maitre instruit », mais être surtout des « pédagogues » et s’impliquer dans
leur école comme organisation. De nouveaux rôles (travailleur social,
psychologue, …) s’imposent et sont plus ou moins acceptés comme partie
intégrante de la tâche. Leurs tâches en classe deviennent aussi plus complexes,
parfois beaucoup plus difficiles, leurs activités dans l’école beaucoup plus
diverses et multiples, alors que les attentes organisationnelles et
institutionnelles à leur égard s’élèvent et sont plus contrôlées.
Par exemple, les
enseignants se retrouve devant des classes où les élèves ont des rapports à
l’apprentissage diversifiés, et qui peuvent être relativement hétérogènes sur
le plan des acquis scolaires, des aptitudes ou des comportements, ce qui rend
la gestion de classe plus complexe et difficile. Cela nécessite de l’enseignant
une capacité à gérer des processus d’apprentissage différenciés, mais aussi des
compétences relationnelles et émotionnelles pour se contrôler, gérer la
distance avec les élèves, gérer la démotivation ou l’agressivité.
Par ailleurs dans
l’établissement, une exigence de coordination accrue apparaît aussi entre les
classes et le travail de chaque enseignant individuel. Nombre de politiques
éducatives et d’autorités scolaires cherchent en effet à renforcer l’autonomie
de gestion des établissements tout en les soumettant à des exigences accrues
d’évaluation externe et de reddition de compte sur les résultats de leurs
élèves. Cela va de pair avec la promotion de directions d’établissements plus
fortes et faisant preuve de « leadership » notamment pédagogique, au point que
pour nombre de chercheurs, on assiste à une managérialisation des écoles
Peut-on parler d'un
nouveau métier ou simplement d'une évolution du métier d'enseignant ?
Le cœur du métier reste
inchangé, il s’agit toujours d’un travail centré sur l’enseignement et les
élèves, de plus en plus chargé de stimuler, de structurer et d’accompagner
l’apprentissage des élèves et cela en devant tenir compte tout à la fois de
balises et de prescriptions ministérielles et de la diversité et des
incertitudes des situations dans le quotidien. Cette base est liée à la forme
scolaire qui reste toujours bien en place. Pour l’essentiel, une école
est toujours une somme de classes, découpées selon les âges des élèves et des
matières.
Qu'est ce qui sous-tend
ces évolutions ?
Des évolutions du public
élève, mais aussi des changements dans les politiques scolaires et les attentes
institutionnelles à l’égard des enseignants. L’école obligatoire s’est étendue
à toutes les couches de la société et la scolarité se prolonge. Les jeunes sont
aussi soumis à d’autres sources de savoirs et informations (Internet..) et à
d’autres spécialistes de l’éducation que les enseignants. Dans le même temps,
les enseignants sont mis en face d’une attente politique relativement nouvelle
de faire « réussir tous les élèves » ou à tout le moins le plus grand nombre,
jusqu’à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire, le collège pour
la France. Enfin, une incitation politique à intégrer les élèves « aux besoins
particuliers » (handicapés, en difficulté d’apprentissage ou manifestant des
troubles de comportement) dans les classes régulières a également vu le jour.
Ces exigences
nouvelles ont-elles été suivies d'améliorations de la condition enseignante ou
le sentiment de dégradation est-il le plus fréquent ?
Cela dépend vraiment d’un
contexte à l ‘autre. Le sentiment de dégradation semble quand même assez
répandu, puisque un peu partout on s’inquiète – l’OCDE – en tête de la perte
d’attractivité du métier ou des difficultés d’entrée dans le métier. Ce
sentiment de dégradation peut être ressenti pour des raisons fort variables
autant en raison de l’intensification ou de la complexification du travail que
d’une dégradation des conditions d’emploi dans certains contextes nationaux
(mais ceci n’est hélas pas spécifique aux métiers enseignants et varie selon
les pays).
Ces exigences
supposent de la formation. A-t-elle suivi ? Sa place dans le métier a-t-elle
changé ?
Oui dans de très nombreux
pays, la formation enseignante cherche à être renforcée et améliorée (son
allongement, son universitarisation, la mise en place d’approche par
compétences avec davantage d’alternance entre pratique et théorie). La
formation continue et le développement professionnel des enseignants deviennent
aussi de plus en plus une obligation plutôt qu’un avantage ou un droit.
Cependant, les modèles de référence de cette formation sont toujours très controversés.
Il y a toujours débat entre un accent accru sur la formation disciplinaire et
une formation pédagogique réduite, ou à l’opposé une volonté de «
professionnaliser » le métier par des connaissances pédagogiques et des
habiletés relationnelles ou émotionnelles accrues.
A l'occasion des
réformes, les autorités dénoncent “le conservatisme enseignant”. Quelle lecture
avez-vous de ces résistances ?
J’ai toujours été très
réticent à cette lecture. Au début des années 2000, j’avais fait une enquête
auprès des enseignants belges, et une grande majorité d’entre eux déclaraient
être prêts à changer leurs pratiques pour améliorer la réussite ; pour eux,
l’inégalité entre élèves n’était pas seulement liée aux inégalités dans la
société ou à l’organisation du système scolaire. Il ne faut donc pas stigmatiser
les enseignants, en essentialisant « leur résistance au changement ».
Cependant, la question
est davantage de savoir que les voies (diverses) de changement des pratiques ou
des structures scolaires sont des enjeux sociaux ou scolaires. Les réformes éducatives,
l’amélioration des pratiques ne sont pas seulement des questions techniques
(dont les solutions viendraient de la seule recherche). Ce sont aussi des
questions auxquelles il faut associer les enseignants. Sans nier non plus que
des clivages politiques ou idéologiques se creusent autour des questions
scolaires et traversent aussi la profession enseignante : par exemple
celle des inégalités ou de la ségrégation scolaire, celle des savoirs,
compétences (cognitives et non cognitives) à transmettre à l’école. Mais
l’association des enseignants aux débats et aux expérimentations doit faire
partie de la solution, à mon sens.
En France le métier
est encore défini statutairement par un nombre d'heures de cours. Est-on dans
les derniers pays dans ce cas ?
Oui, la plupart des pays
européens définissent à présent les tâches de façon plus large, ne réduisant
pas le métier aux heures de cours (et le temps de préparation ou de correction
associés). Des heures de coordination, de formation sont aussi pris en
compte. Au Québec, par exemple, un temps de présence et de disponibilité
des enseignants dans les écoles est prescrit (32 heures par semaine), ce qui
peut favoriser leur travail en équipe par exemple ou l’organisation du travail
de remédiation. Mais les bâtiments scolaires incluent des espaces de travail de
qualité pour les enseignants. Bref, avant d’importer une solution étrangère, il
faut réfléchir à ses « conditions » matérielles ou autres d’application.
Propos recueillis
par François Jarraud
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