Pour Freinet, la révolution pédagogique à venir était
inséparable de la révolution politique et sociale. Et c’est bien ce que je lui
reproche car il est évident désormais, un siècle plus tard, que la démarche
pédagogique doit dépendre d’une approche strictement professionnelle et en
aucun cas idéologique. Comment, en effet, viser à l’efficacité quand on soumet son métier à ses
croyances ? Fussent-elles généreuses, ou prétendues telles...
Il m’a donc paru intéressant de faire le point sur l’engagement
de Freinet dans le Parti communiste. Engagement sur lequel il est de bon ton aujourd'hui de jeter un voile pudique. Car ce qui était naguère un signe
évident de “progressisme”, est maintenant perçu comme un aveuglement politique, surtout en regard des crimes qui ont été commis au nom des « lendemains qui chantent ».
Première Guerre mondiale. Mobilisé, Célestin Freinet est gravement blessé par une
balle au poumon au Chemin des Dames en 1917. Il a 21 ans.
En 1920, il est instituteur à Bar-sur-Loup, dans les
Alpes-Maritimes. Fils de petits paysans de Gars, il a conscience d’appartenir à
la classe des sans-grade. Il croit fermement à la solidarité et à l'action
collective, et surtout à la nécessité de se regrouper dans des associations,
qu'elles soient des syndicats ou des coopératives. Syndicats, coopératives,
mutuelles, relèvent d'une conception socialiste de la société, plutôt
proudhonienne d’ailleurs que marxiste, plutôt autogestionnaire qu'étatiste et
centralisée.
Concernant son engagement, c'est d'abord vers l'action
syndicale que se tourne Freinet. Ainsi il participe à des Congrès syndicaux et rejoint
la Fédération de l'Enseignement (Unitaire) de la CGTU. Dans la revue
communisante Clarté, dirigée par
Henri Barbusse, l’auteur du Feu qu’il
admire, il écrit dès 1923 des articles sur le thème : « Vers l’école
du prolétariat ».
Pendant l’été 1925, un an après la mort de Lénine, il participe
à un voyage d’étude en URSS au sein d’une délégation d’enseignants et en
revient très impressionné par la révolution russe.
En mars 1926, il se marie avec Élise, une jeune institutrice
des Hautes-Alpes. Et, à la fin de cette même année, ils adhèrent tous deux au
Parti communiste. Ils se montrent des militants de base disciplinés. Les
querelles d’appareil et les exclusions de toutes sortes qui foisonnent entre
1926 et 1936 ne les intéressent pas. Ce qui ne les empêche pas d'être critiques,
mais avec une grande indulgence pour tout ce qui peut se passer dans “la patrie
du socialisme” en marche vers l'édification d'un monde nouveau et vers des
avenirs radieux !
Freinet peut éprouver la solidarité de ses camarades quand,
à Saint-Paul-de-Vence, en 1933, « l’instituteur communiste Freinet »
est violemment attaqué par la droite et l’extrême-droite.
En 1936, au moment des grandes purges en URSS, une
controverse vise Freinet, dans la revue L’éducateur
prolétarien, sur le soutien qu'il apporte délibérément au régime
dictatorial stalinien, avec les références qu'il fait constamment à l'URSS. Freinet
se défend au nom de l’immense révolution soviétique, et des progrès qu’elle a
fait accomplir dans l’enseignement du peuple.
Sans doute, la presse communiste n’est pas très favorable à
ses méthodes pédagogiques, mais il passe outre : « Puis-je vraiment tenir au PC français une
rigueur mortelle s’il ne comprend pas actuellement la portée révolutionnaire de
notre action ? Le Parti lutte contre le fascisme, organise et anime le
Front populaire et je n’oublie pas que tout recul de l’action politique
populaire est un coup de plus porté à notre action pédagogique ; que le
triomphe du fascisme en France serait la fin de notre expérience, et que,
indirectement, quiconque lutte efficacement contre le fascisme lutte de ce fait
en faveur de notre pédagogie nouvelle. »
C’est le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 qui lui
dessille les yeux. Il exprime son désaccord lors de réunions au sein du PC désormais
devenu clandestin, mais ne le fera jamais savoir publiquement. Le 20 mars 1940,
Freinet est arrêté par la police sur ordre du gouvernement et séjourne ensuite
dans plusieurs camps d’internement jusqu’au 29 octobre 1941. Son état de santé
est devenu très inquiétant à cause des privations endurées dans ces camps. Assigné
à résidence en Vallouise, dans les Hautes-Alpes, ce n’est qu’au printemps 1944
qu’il rejoindra le maquis FTPF.
À Alger, en 1943, et plus tard à la Libération, vont
commencer déjà à circuler des rumeurs propagées par certains membres du Parti selon
lesquelles Freinet se serait compromis avec le régime de Vichy pour obtenir sa
libération, voire même qu'il se serait rendu en Allemagne nazie…
Auréolé par son combat dans la Résistance, mais aussi avec
le prestige conféré par la victoire sur le nazisme remportée par l'armée rouge
et l'URSS, le Parti Communiste contrôle un grand nombre d'organisations. Son
influence est notable et grandissante chez bon nombre d'intellectuels, comme
dans la population, en majorité ouvrière, qui lui confère alors une forte
représentativité électorale, avec 28 % des suffrages.
Alors qu’il avait participé à son animation dans l’entre-deux-guerres
et dont il était même devenu le vice-président à la Libération, Freinet quitte
le GFEN, début 1946, car ce satellite du PCF, aux mains de staliniens, n’a rien
de démocratique. En 1947, il dépose les statuts de l’ICEM (Institut Coopératif
de l’École moderne). Il parle d’école “moderne” pour se démarquer de l’école
“nouvelle” du GFEN (Groupe Français d’Éducation Nouvelle).
Face aux attaques dont ils font l'objet de la part du GFEN, que la
naissance puis le succès de l'ICEM prive de ses militants enseignants les plus
actifs, et lassé de constater que le Parti ne les soutient nullement dans leur
entreprise de changement en profondeur de l'école, Freinet et sa femme Élise
annoncent fin 1948 à la cellule où ils militent qu'ils suspendent leur adhésion.
Les intellectuels du Parti décident d'attaquer Freinet sur les
fondements mêmes de la théorie et des pratiques pédagogiques de son mouvement. Le
maître d'œuvre de toute cette campagne orchestrée contre Freinet en est Georges
Cogniot, un membre du Comité central du PCF chargé des questions d’éducation et
de culture. Dans un article d'avril 1950 de La
Nouvelle Critique intitulé : “Où va la pédagogie « nouvelle » ? À
propos de la méthode Freinet”, Georges Snyders, un professeur de philosophie, va
classer Freinet, taxé de « mystificateur gauchiste », dans le camp des pédagogues
réformistes et « petit-bourgeois ». Dans les numéros qui suivent, les attaques
en règle continuent. En juin 1951, c'est Cogniot en personne qui met un terme
au débat, dans un article intitulé “Après la discussion sur l'« Éducation
moderne » - Remarques préalables à un essai de bilan”.
Les attaques communistes contre Freinet reprennent dans une
nouvelle revue syndicale enseignante, L'École et la Nation, en octobre
1951, et continueront jusqu’en 1954.
C’est alors la rupture définitive.
Freinet meurt le 8 octobre 1966 à Vence...
Sources :
- Michel WINOCK, “Il était une foi”, L’Histoire, n° 417, 11.2015
- Henri PORTIER, Freinet
et le PC, site du CIRA-Marseille
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