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lundi 15 décembre 2008

À propos des "désobéisseurs" - « En conscience, je fais mon métier du mieux possible. »


"En conscience, je refuse d'obéir."
Alain Refalo (novembre 2008)



Une des premières choses que j’ai apprise à ma sortie de l’École normale d’instituteurs, c’est la nécessité de se montrer solidaire des collègues avec lesquels on travaille et, plus généralement, de la corporation des instituteurs dans son ensemble. Solidaires face aux élèves : on ne contredit pas un collègue. Solidaires face aux parents : on ne critique pas le travail ou l’attitude d’un collègue. Solidaires face à la hiérarchie : on ne dénonce pas les manquements d’un collègue. C’est parfois difficile, mais les problèmes doivent se régler en interne. L’expérience m’a prouvé que les écoles qui fonctionnent sont des écoles où l’équipe enseignante est soudée, solidaire.

Pour autant, je ne me sens pas solidaire des instituteurs qui se sont déclarés “désobéisseurs” depuis la Rentrée de septembre 2008. « En conscience, je désobéis » ont-ils écrit au Président de la République, au ministre, à leur recteur ou à leur IEN. Ils l’ont proclamé sur des sites Internet, des blogs, ils le publient dans des articles, dans des livres…

Les instituteurs de l’enseignement public sont des fonctionnaires et, à ce titre, ils ont un certain nombre de droits, mais aussi de devoirs. Quand on est trop torturé par sa conscience pour accomplir le service pour lequel on reçoit un traitement, on ne désobéit pas, on démissionne.

Les “désobéisseurs”, si je les ai bien lus, sont des constructivistes. Ils redoutent le retour aux fondamentaux et préfèreraient continuer à organiser des promenades pédagogiques, du théâtre, des activités de création artistique ou d’escalade, des sorties à vélo, des expériences Main à la pâte, etc. Enseigner le français, les mathématiques et la culture générale les paniquent. C’est que, pendant des années et des années, ils ont eu la possibilité de prendre leur temps en classe, d’y faire des activités ludiques sans trop de préparation et sans trop de correction, de passer dans les médias à la première visite d’un moulin à huile ou pour le défilé du carnaval pendant le temps scolaire. En un mot, d’être conforme à la pédagogie officielle recommandée, sans le moindre état d’âme. Et surtout, sans que quiconque leur reproche d’envoyer au collège des enfants ne maîtrisant pas les bases d’un enseignement élémentaire digne de ce nom.

Le cirque pédagogique a été contrarié par les programmes de Xavier Darcos, parus en 2008. D’où la réaction prévisible de tous ceux qui ont pris au pied de la lettre ce que disaient les formateurs à l’IUFM. D’autant que cela permettait de ne pas trop forcer ; le constructivisme pédagogique ayant cette particularité que tout peut se justifier. Il faut simplement veiller à rester dans le simulacre. Donc « en conscience, ils ont désobéi », croyant qu’ils pouvaient porter la palme du martyre sans courir d’autres risques que celui de la notoriété médiatique. Maintenant que les sanctions administratives commencent à tomber, ils s’étonnent, s’inquiètent et crient au scandale.

Cette contestation des programmes 2008 aurait pu être facilement menée dans un cadre syndical. Les principaux syndicats d’enseignants du Primaire sont acquis corps et âme, depuis des lustres, au constructivisme pédagogique. Les petits syndicats aussi, et peut-être même encore plus. Il n’y a que le SNUDI-FO qui ne s’aventure pas sur le terrain pédagogique qu’il juge – à juste titre – hors du champ syndical. Et le SNE qui, sans doute par choix idéologique, ose critiquer un pédagogisme réputé de gauche.

Aujourd’hui, les “désobéisseurs” et leurs défenseurs trouvent brutalement des vertus à la liberté pédagogique, alors qu’ils l’avaient niée pendant des années, les années de plomb du constructivisme pédagogique. Avec la loi Jospin de 1989, qui a officialisé le triomphe du pédagogisme, quelques instituteurs ont commencé à râler devant les dérives pédagogiques qui nous étaient imposées. Je le sais, j’étais du nombre. Pour autant, nous n’avons pas désobéi car la sanction aurait été immédiate. Nous avons résisté.

Mais, contrairement aux “désobéisseurs”, je n'ai pas l'outrecuidance de me revendiquer de la Résistance. Je laisse le mot de “résistants” à des gens bien plus courageux que moi, qui se sont battus au péril de leur vie pour que la France occupée par l’ennemi recouvre à nouveau sa liberté. La Résistance était un vrai combat que plusieurs ont payé de leur vie. Rien à voir avec l'insubordination mineure de quelques fonctionnaires bien à l'abri derrière leur statut. Les mots ne doivent pas être galvaudés.

La résistance des instructionnistes, dans les années 1990, ne portait que sur la façon d'enseigner. Certains ont eu des problèmes avec leur IEN, et l’avancement dans les échelons s’en est trouvé ralenti. Cela n’a pas été mon cas : les inspecteurs ont toujours été satisfaits de mon travail et l’ont écrit dans leurs rapports. Il faut dire aussi que j’ai toujours témoigné du respect à leur égard, étant d’une génération consciente des rapports hiérarchiques. Mes désaccords, mes doutes et mes questionnements, je les ai exprimés de façon courtoise et respectueuse. Et, à ma grande surprise, ils trouvèrent souvent un écho favorable dans le secret des entretiens particuliers.

Nous résistions comme le caillou résiste au courant des eaux sales du caniveau. Parfois même, quand ce courant était trop fort, le caillou roulait deux ou trois tours dans le sens du courant. Je me souviens ainsi de m’être intéressé à la grammaire de texte, d’avoir scrupuleusement tenté de remplir les items des livrets de compétences, ou de proposer des activités compatibles avec les études dirigées prévues par les instructions de 1995.

Lorsque j’ai adhéré à l’association Reconstruire l’école en 2002 ou que j’ai rejoint le collectif Sauver Les Lettres en 2005,  cela n’a pas eu d’incidences sur mon travail. Je ne suis pas entré en rébellion officielle. Lorsque j’ai créé le site appy.ecole en décembre 2002, je ne m’en suis pas servi pour appeler à la sédition et à la désobéissance. Je me suis contenté de mettre en ligne des documents pouvant permettre de nourrir la réflexion de mes collègues instituteurs et, plus généralement, de toute personne concernée par les problèmes éducatifs.

Ce n’est pas par idéologie que j’ai résisté, c’est par goût du travail bien fait. Issu d’une famille d’employés et d’artisans, on m’a transmis la conscience professionnelle comme une valeur importante, on m’a appris qu’il fallait mériter son salaire en faisant son métier du mieux possible. C’est pourquoi, après l’École normale, j’ai mis en pratique tout ce qu’on m’avait appris : en gros, faire du pseudo-Freinet en classe. Puis, au fil du temps, j’ai abandonné tout ce qui ne marchait pas et j’ai conservé tout ce qui favorisait la réussite de mes élèves. Ce souci d’efficacité  dans mon enseignement et de qualité dans mon travail m’a conduit, après trente ans de métier, à adopter la Pédagogie Explicite.

Il est très facile d’exprimer son désaccord, de dire son opposition, de proclamer sa désobéissance. Bref d’adopter une posture. Construire un mouvement professionnel qui s'amplifie, proposer des techniques pédagogiques qui marchent, convaincre les collègues d’entrer dans des pratiques instructionnistes, modernes et efficaces est beaucoup plus difficile. Mais pas impossible…

La seule chose que peut me dicter ma conscience, c’est de faire mon métier du mieux possible.

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