Source : Le Café pédagogique
Dès le cours préparatoire (et souvent dès la maternelle),
les élèves reçoivent de bien mystérieuses consignes : « Apprenez la leçon pour
la semaine prochaine ». Encore dociles à cet âge, bien peu d’élèves ont le
culot nécessaire pour oser demander à leur enseignant : « Mais comment fait-on
pour apprendre une leçon » ? Au grand soulagement de la plupart des
enseignants, qui se retrouveraient d’emblée mis en difficulté, et seraient
obligés de livrer quelques consignes sommaires (et peu efficaces) : « Relis la
leçon jusqu’à ce que tu la retiennes ». Pourtant, si l’on y réfléchit bien,
savoir apprendre de manière efficace devrait être l’une des compétences
fondamentales que l’école primaire a pour mission d’enseigner, aux côtés des
incontournables lire, écrire, compter. C’est en effet une compétence dont tous
les élèves auront besoin tous les jours de leur longue scolarité, jusque dans
l’enseignement supérieur, puis au-delà dans leur vie professionnelle. Comment
se fait-il que l’Éducation nationale n’ait pas fait d’une compétence aussi
indispensable l’une de ses premières priorités ?
Comment savoir
apprendre une leçon ?
Comme le savent les
enseignants français, cette question est désormais à formuler au passé, puisque
le socle commun 2016 qui vient tout juste d’entrer en vigueur comporte,
immédiatement après le Domaine 1 consacré aux langages, le Domaine 2 intitulé “Les
méthodes et outils pour apprendre” (décret n° 2015-372 du 31-3-2015). Les
objectifs affichés sont on ne peut plus pertinents : « Ce domaine a pour objectif de permettre à tous les élèves d'apprendre à
apprendre, seuls ou collectivement, en classe ou en dehors, afin de réussir
dans leurs études et, par la suite, se former tout au long de la vie. Les
méthodes et outils pour apprendre doivent faire l'objet d'un apprentissage
explicite en situation, dans tous les enseignements et espaces de la vie
scolaire. » L’élève « doit savoir
apprendre une leçon, (…) s'entraîner en choisissant les démarches adaptées aux
objectifs d'apprentissage ».
Le principal problème de ces belles intentions est que le
décret n’explicite en aucune manière les moyens d’y parvenir. Comment permettre
à tous les élèves d’apprendre à apprendre ? Quels sont ces fameux outils pour
apprendre ? Comment savoir apprendre une leçon ? Les enseignants n’en sauront
rien, ni en lisant le décret, ni par leur formation initiale ou continue, ni en
explorant le site Éduscol. Encore une fois, on assigne aux enseignants de bien
beaux objectifs, mais sans leur donner les clés pour les atteindre. On les
laisse donc chercher et tâtonner, pour le meilleur et pour le pire. Pourtant,
il existe des recherches scientifiques de qualité sur les mécanismes des
apprentissages, de la mémorisation, et sur les méthodes les plus efficaces pour
consolider les apprentissages en mémoire. Ces résultats sont malheureusement
inconnus de la plupart des enseignants français, comme de leurs formateurs et
de leurs élèves.
Comment retenir
l'information ?
Cette situation n’est pas propre à l’Éducation Nationale
française. Dans bien d’autres pays, y compris aux États-Unis où la majorité de
ces recherches ont été effectuées, mes collègues se lamentent que leurs
résultats soient si peu mis en application dans les écoles. En dehors de l’Éducation
nationale, il ne manque pas d’établissements privés et d’organismes de soutien
scolaire, ou encore de livres et de sites Internet pour revendiquer une autre
manière d’enseigner plus efficace, de véritables méthodes pour apprendre à
apprendre, etc. Mais dès que l’on creuse un peu, on ne trouve le plus souvent
rien de bien original, et surtout rien de bien fondé sur la recherche scientifique,
au-delà des désormais traditionnelles incantations à la neuro-éducation et à la
plasticité cérébrale.
La traduction française du livre de Brown, Roediger et
McDaniel, intitulée Mets-toi ça dans la
tête !, arrive donc à point nommé pour aider les enseignants français à se
saisir du Domaine 2 du nouveau socle commun. Henry Roediger et Mark McDaniel
sont tous deux professeurs de psychologie à l’Université Washington à
Saint-Louis, et sont des pionniers de la recherche sur la mémoire et les mécanismes
des apprentissages.
L’un des résultats-clés obtenu par Roediger et McDaniel est
d’avoir mis en évidence le rôle de la récupération en mémoire dans la
consolidation des apprentissages. Considérons le problème courant de l’élève
qui doit mémoriser une leçon. Il a déjà été exposé une première fois au
contenu, soit en classe, soit en lisant la leçon. À partir de là, quelle est la
meilleure stratégie pour consolider ce qu’il a appris ? Relire la leçon ? Une
fois, deux fois, cinq fois ? Non. De nombreuses études ont montré que la
relecture (avec ou sans sur/soulignage) améliore peu la mémorisation. Ce qui
est efficace, c’est d’essayer de récupérer l’information en mémoire. Par
exemple en récitant la leçon, en reformulant ce qui a été appris, ou en étant questionné
sur le contenu. Un bref test (suivi du corrigé) permet de retenir plus
d’information qu’une relecture du même contenu.
Les mécanismes
cérébraux de consolidation de la mémoire
D’autres effets ont été bien démontrés, comme l’intérêt
d’espacer les tests dans le temps, et l’intérêt d’alterner les sujets et les
contextes dans lesquels les apprentissages sont mis en œuvre, plutôt que de
concentrer chaque apprentissage dans le temps puis de passer à la suite. Également,
l’usage optimal du feedback (correction de chaque réponse donnée) a été bien
exploré. De même que l’intérêt de faire chercher aux élèves les réponses à
certaines questions avant même de les exposer pour la première fois au contenu
du cours (sans pour autant devoir nécessairement reconstruire toute la science
par eux-mêmes).
Les mécanismes cognitifs et cérébraux de consolidation de la
mémoire qui sous-tendent tous ces effets sont partiellement connus. Mais qu’on
les connaisse ou pas, c’est à la limite secondaire, car le plus important est
que les effets, eux, soient bien établis. Et ils le sont. Les principaux
résultats des recherches de Roediger, McDaniel et leurs collègues ont été
répliqués des dizaines de fois par des études indépendantes, et sont confirmés
par des méta-analyses de l’ensemble des études publiées. Ces résultats sont
parmi les plus fondamentaux de la psychologie, et sont ceux qui devraient
logiquement avoir le plus grand impact sur les pratiques enseignantes, de même
que sur les stratégies d’apprentissage mises en œuvre par les élèves.
Les méthodes qui
marchent le mieux
Certains des conseils donnés dans le livre seront
certainement familiers pour beaucoup d’enseignants. De fait, les méthodes qui
marchent sont déjà en partie connues d’eux. Par exemple, les cartes double-face
(flashcards) avec la question d’un côté et la réponse de l’autre commencent à
se répandre, et sont effectivement un bon moyen d’aider les élèves à se tester
eux-mêmes. Le problème, c’est que parmi toutes les méthodes, tous les conseils,
tous les trucs que les enseignants glanent au cours de leur formation initiale,
auprès de leurs collègues et inspecteurs, et en cherchant sur Internet, rien ne
leur permet de distinguer de manière fiable ce qui marche et ce qui ne marche
pas. Or l’apprentissage est un domaine dans lequel les intuitions sont
trompeuses (comme les auteurs du livre l’expliquent en détail dans le chapitre
5), et les essais et erreurs que font les enseignants dans leurs classes sont
trop limités pour pouvoir en tirer des conclusions solides. C’est donc un
apport essentiel du livre Mets-toi ça
dans la tête ! que de permettre aux enseignants de faire le tri, en leur
expliquant quelles sont les méthodes qui marchent le mieux, par quels résultats
expérimentaux on a pu en acquérir la certitude, et, dans une certaine mesure,
pourquoi il en est ainsi.
Les résultats décrits dans ce livre devraient conduire à
bouleverser les habitudes de travail des enseignants, comme celles des élèves.
Par exemple, ils devraient conduire les enseignants à utiliser les tests non
seulement comme une évaluation et une sanction, mais comme un véritable outil
d’apprentissage. Principe déjà théorisé et connu sous le nom d’évaluation
formative, mais au-delà du slogan, qui à l’heure actuelle est capable de le
mettre en œuvre d’une manière qui renforce de manière mesurable et objective
les apprentissages ? Les lecteurs de Mets-toi
ça dans la tête !, eux, auront des éléments tangibles pour transformer
radicalement leur usage des tests et contrôles, et la perception qu’en ont les
élèves.
L'éducation enfin
fondée sur des preuves
Les méthodes proposées peuvent également inspirer les
enseignants dans leur usage des nouvelles technologies. En effet, c’est une
chose d’équiper les établissements et de sommer les enseignants d’utiliser le
numérique à tout prix, c’en est une autre de les aider à l’utiliser
intelligemment, d’une manière qui améliore véritablement le service rendu aux
élèves. De nombreux logiciels et outils peuvent être mis à profit pour mettre
en œuvre l’évaluation formative, de manière à rendre les tests plus rapides, plus
motivants pour les élèves, à automatiser leur correction [1],
et à fournir aux élèves un retour immédiat sur leurs réponses. À titre
indicatif, on pourra regarder les possibilités de la plateforme Didask, qui a été entièrement
pensée à partir des principes du livre Mets-toi
ça dans la tête !, ou encore l’utilisation des boîtiers de vote [2]
et d’autres outils permettant de tester les élèves de manière rapide,
collective et interactive [3].
Enfin, pour prendre un peu de recul, un autre mérite de ce livre
est d’illustrer de manière exemplaire ce que peut être l’apport de la recherche
scientifique à l’éducation, bien loin des caricatures habituelles. Il montre
que les résultats réellement pertinents pour les enseignants ne s’obtiennent
pas dans l’IRM, mais par les méthodes de la psychologie. Une psychologie
résolument scientifique, expérimentale, qui a beaucoup évolué depuis Freud,
Piaget et Vygotsky, et qui gagnerait à être mieux connue des enseignants. Cette
psychologie permet non seulement d’accroître notre compréhension du
fonctionnement cognitif de l’enfant, mais également de tester toutes les
hypothèses imaginables sur les facteurs facilitant les apprentissages et sur
l’efficacité des pratiques pédagogiques. Seule une telle approche expérimentale,
rigoureuse et pragmatique, est susceptible de nous faire entrer enfin dans
l’ère de « l’éducation fondée sur des preuves ».
Pour conclure, Mets-toi
ça dans la tête ! est une lecture indispensable pour tous les enseignants,
comme pour tous les étudiants de l’enseignement supérieur. La sortie en octobre
2016 de la traduction française de ce livre est une coïncidence tout à fait
providentielle pour accompagner les enseignants dans leur appropriation du
Domaine 2 du nouveau socle commun.
Franck Ramus,
directeur de recherches
au CNRS,
professeur de
psychologie attaché à l’École Normale Supérieure
[1] . Par
l’usage de questions à choix multiples, qui, contrairement aux idées reçues,
peuvent être utilisées de manière intelligente dans tous les domaines
scolaires. Voir par exemple : https://www.uclouvain.be/396546.html,
cette étude et celle-ci.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires reçus n’ont pas tous vocation à être publiés.
Étant directeur de publication de ce blog, seuls les textes qui présentent un intérêt à mes yeux seront retenus.