Source : Slate.fr
[Très intéressant
article de Louise Tourret, paru le 05.09.2013 sous le titre
Privatiser l'école en France ? Pas tout à fait une fiction .]
Privatiser l'école en France ? Pas tout à fait une fiction
Personne en France, à la différence de l'Angleterre,
n'imagine que l'État ne finance plus l'éducation nationale. Et pourtant, en
France, les sources de financement privé aident de plus en plus à financer
l’école publique.
Au début du mois de juillet, le quotidien britannique The Independent publiait le projet
encore secret du ministre de l’éducation britannique Michael Gove de
transformer les 30.000 écoles d’Angleterre en “Academy schools”. Ces écoles
fonctionnent de manière indépendante du système national d’Éducation et sont
financées par le gouvernement mais aussi par des fonds privés. Mais ce qui est
encore plus surprenant dans le projet de Michael Gove pour nos yeux français,
c’est qu’il souhaite faire de ces écoles des entreprises à but lucratif.
L’école publique ne plaît guère aux vrais libéraux. Leurs
arguments sont simples : une école librement choisie serait une école plus
efficace car ses “clients” en attendent logiquement un retour sur investissement
et cette exigence, stimulante pour le système, relève le niveau de l’ensemble.
Dans le modèle libéral, l’État garde un rôle économique dans le fonctionnement
du système scolaire en jouant un rôle de redistribution et met la main à la
poche en allouant aux parents des “chèques éducation”.
Un chèque que les familles peuvent utiliser où elles le
veulent et comme elles le veulent. La liberté de choix de l’école est totale.
Le pape du libéralisme Milton Friedman en parla pour la première fois en 1962
dans Capitalisme et liberté. Ça paraît exotique, mais pour l’économiste
Philippe Némo, par exemple, c’est tout à fait importable en France.
La fin de l’école publique et l’instauration d’un système
totalement privé, “libre”, est-elle vraiment envisageable chez nous ? Aucun
politique ne l’a dit, ne le dit, ne l’envisage. Mais on observe que le
comportement par rapport au système privé a totalement changé ces vingt
dernières années. Les grandes guerres scolaires sont derrière nous et les
élèves passent allègrement d’un système à un autre : une famille sur deux a
recours, au moins une fois durant la scolarité de ses enfants, à l'enseignement
privé.
Rares sont donc les parents qui, devant une situation qu’ils
estiment difficile dans le public hésitent à passer au privé. C’est sûrement ce
qui a donné l’idée à Nicolas Sizaret, qui a passé 6 ans au ministère de
l’Éducation en tant que consultant, d’écrire un livre dans lequel il imagine le
lancement d’une chaine d’école d’excellence par un groupe privé. Des écoles qui
feraient en concurrence frontale avec l’Éducation nationale. Ce livre, paru
l’an dernier, s’intitule OPA sur le Mammouth (Éditions Souffle Court).
C’est un travail très documenté, bien senti et, chose rare quand on parle
d’éducation, drôle.
Quand j’ai vu passer cette information sur les écoles
britanniques, j’ai appelé Nicolas Sizaret pour savoir ce qu’il en pensait et
s’il considérait que l’école “à but lucratif” était imaginable en France.
Nicolas Sizaret rappelle d’abord qu’en 1994 déjà, l'Accord Général sur le Commerce desServices (AGCS), signé sous l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce,
pressait les gouvernements de libéraliser totalement leurs systèmes éducatifs,
bref d’ouvrir un véritable “marché de l'éducation”.
Aux États-Unis par exemple, les systèmes éducatifs publics
sont progressivement démantelés au profit d’établissements scolaires privés que
les parents ont la possibilité de mettre en concurrence. Finalement, même
l’éducation prioritaire dans les quartiers sensibles va fonctionner sur un
modèle entrepreneurial. Ce sont les “charter schools”, dont les directeurs ont
la liberté d’embaucher et de licencier les enseignants de l’établissement
qu’ils dirigent.
Ce qui est nouveau dans le projet britannique, c’est de
considérer ouvertement certaines écoles publiques (academy schools, un des systèmes du public, d’écoles indépendantes
financées par l’État, près de 40 % des élèves en 2012) d’abord comme de
potentielles entreprises à but lucratif à qui on pourrait appliquer tous les
mécanismes de la finance d’entreprise (levée de capitaux, maximisation des
profits, cotation en bourse, entrée au capital de fonds spéculatifs, revente…
et éventuellement faillite).
Dans ce projet politique, l’éducation n’est pas
(plus !) considérée comme un bien public. Pour Nicolas Sizaret, ce type
d’annonce se fait sans complexe et dans une relative indifférence, à partir du
moment où les citoyens fatalistes perdent confiance dans les capacités de leurs
services publics à répondre à leurs besoins mieux que ne le ferait le secteur
marchand.
Les sources de financement privé aident de plus en plus à
financer l’école publique. Elles arrivent par des voies auxquelles on ne
pense pas forcément, par exemple le mécénat. Quand on les sollicite, les
entreprises répondent présent, sans complexe. D’ambitieux programmes
d’enseignement artistique aussi sont largement soutenus par de grandes
entreprises, c’est la cas par exemple d’un projet magnifique comme “Orchestre
à l’école”, développé grâce au mécénat d’Axa, Bouygues, LVMH… etc., «
qui permet aujourd’hui l’installation de dizaines de classes orchestres dans
les écoles de l’Hexagone », nous dit la fondation. Certains établissements
lancent eux-mêmes leurs propres fondations.
C’est ce qu’a fait le prestigieux lycée parisien
Louis-le-Grand l’année dernière avec de très grosses entreprises :
LVMH, EADS, Canal+ et L’Oréal. Sa dotation de départ était de 250 000 euros.
L’établissement, public il faut le rappeler, capitalise sur son nom et sa
réputation pour recueillir des fonds privés. Tous les lycées ne pourront pas en
faire autant.
L’objectif, précisait Joël Vallat, son proviseur au moment
du lancement de la fondation, était « l’ouverture sociale et la
mobilité internationale » de son lycée. Enfin, Total a signé un
accord-cadre avec l’État, plus précisément avec le ministère des Sports, de la
Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative le 7 juin 2013 pour
financer à hauteur de 4 millions d’euros la réforme des rythmes scolaires
(notamment alloués au développement d’activités périscolaires prévues dans le
cadre de la réforme des rythmes éducatifs… de l’argent qui provient en fait de
fonds précédemment alloués au Fond d’expérimentation de la jeunesse de Martin
Hirsch et qui a mis de l’huile dans la mise en place de la réforme des
rythmes).
Enfin, et surtout, il faut bien reconnaitre qu’une autre
forme de privatisation remporte un gros, un très gros succès en France. Une
note du Centre d’analyse stratégique de janvier 2013 révèle que les
Français sont les plus gros consommateurs de cours particuliers en Europe.
La marchandisation de l’éducation ne progresse pas forcément
comme un phénomène brutal. À part quelques ultralibéraux (comme Michel de
Poncins), personne ne prône ouvertement une privatisation frontale du
système. Mais comme le souligne malicieusement Nicolas Sizaret, si le
lycée Louis-le-Grand à Paris était proposé à la vente à un fonds
d’investissement (sur le modèle de ce que propose aujourd’hui le gouvernement
anglais pour ses établissements scolaires), l’État pourrait en tirer 50
millions d’euros (sans compter la valeur des bâtiments, qui appartiennent à la
collectivité).
Lorsque le budget de l’Éducation nationale en sera à 50
millions près, selon la couleur du gouvernement en place et selon l’image
qu’aura alors l’École publique dans l’opinion, un tel scénario deviendra-t-il
possible?
Louise Tourret
C'est effectivement une menace qui plane sur nos têtes. Surtout si les constructivistes continuent de pourrir l'école publique avec leurs idioties. Fort heureusement, le système US n'est pas très performant et on peut difficilement en faire quelque chose d'enviable...
RépondreSupprimerBonjour Stevan,
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire.
J'en profite pour signaler l'excellent blog de Stevan dont vous trouverez le lien sur cette page, dans la colonne à droite, rubrique Pédagogie Explicite.
Bonne visite !