Source : La Lettre de l’éducation
Pascale Petit :
« Une
discrimination évidente »
à l’entrée des établissements scolaires privés
Pascale Petit est docteure en sciences économiques, maître
de conférences à l’université Paris-Est.
Avec les économistes
Loïc du Parquet et Thomas Brodaty, vous venez de mettre en évidence, dans un
rapport de recherche sur « la discrimination à l’entrée des établissements scolaires privés », qu’il est
plus facile de s’inscrire dans une école privée lorsqu’on a un patronyme
français qu’un nom à consonance maghrébine. Comment avez-vous procédé ?
Nous avons utilisé une méthode appelée le “testing”, très
employée pour mesurer les discriminations à l’embauche. Nous avons créé deux
profils de pères souhaitant inscrire leur fils dans le privé à la prochaine
rentrée. L’un porte un nom à consonance française (Pierre Dubois, Thierry
Legrand...), l’autre à consonance maghrébine (Hussein Rajabi, Abdel Ben
Karouba...). Chacun des deux pères fictifs a adressé, à quelques jours
d’intervalle, un message à un même établissement privé, demandant des
informations pour y inscrire son enfant. L’expérience a été répétée sur 4 269
établissements privés (3 023 écoles primaires et 1 246 collèges).
Quels établissements
avez-vous choisis ?
Des établissements privés ont été testés dans toutes les
académies. Les messages ont été envoyés à ceux qui avaient indiqué leur adresse
électronique sur le site du ministère de l’éducation nationale. Nous n’avons
pas inclus les lycées, qui sont plus spécifiques en termes d’offre de
formation.
Qu’avez-vous observé
?
Une discrimination évidente à l’entrée dans le privé. Dans
18 % des cas, les suites données à la demande d’informations du père fictif
d’origine maghrébine sont moins favorables que celles données par le même
établissement au père d’origine française. La discrimination s’observe à trois
niveaux. Tout d’abord, le père issu de l’immigration est plus fréquemment
confronté à une non-réponse de la part des établissements (68 % des cas, contre
55 % pour le père d’origine française). Ensuite, il reçoit plus souvent une
réponse négative de la part des établissements qui ne recontactent qu’un seul
des deux pères. Dans ce cas, l’établissement lui répond, par exemple, que les
classes sont complètes alors que parallèlement, l’autre père ne reçoit pas ce
type de réponse. Enfin, il reçoit moins fréquemment une réponse positive ferme
(4,5 % des cas, contre 8,5 % pour le père d’origine française).
Y a-t-il une
typologie des établissements les plus ou les moins discriminants ?
Elle est difficile à établir. Nous observons toutefois que
les établissements qui ne répondent qu’au père d’origine française sont un peu
plus souvent situés dans des communes où la proportion d’immigrés est plus
faible et dans des départements un peu plus ruraux, dans lesquels la part des
élèves scolarisés dans le privé est plus élevée et où la part des cadres dans
la population est un peu plus faible.
Vous travaillez sur
l’accès à l’emploi. Pourquoi avoir investi le champ de l’éducation ?
Lorsqu’on travaille sur l’emploi, on en revient toujours à
la formation moins bonne de certaines populations. Il nous a semblé intéressant
d’en rechercher les causes profondes, à savoir à l’école.
Les résultats vous
ont-ils surpris ?
Nous avons été surpris par le faible taux de réponses de la
part des établissements. Un sur deux n’a donné suite à aucun des deux messages.
Bien sûr, certains courriels ont pu ne pas aboutir, mais ce fort taux de
non-réponses laisse à penser que cette procédure de demande d’inscription par
courriel n’est pas la voie royale pour entrer dans un établissement privé et
que le réseau joue un rôle important pour obtenir une place. Par ailleurs, nous
craignions de ne pas placer notre observation au bon niveau en nous focalisant
sur la première prise de contact. Nous pensions que si discrimination il y
avait, elle arriverait sans doute plus tard dans le processus d’inscription -
peut-être après un rendez-vous - et ne serait alors pas mesurable par notre
enquête. Le testing a infirmé nos craintes.
L’enseignement privé
est très majoritairement financé par de l’argent public...
C’est effectivement une question qui peut être soulevée. Depuis
1959, la loi Debré impose aux établissements privés d’inscrire « tous les
enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance ». Une contrainte
dont 18 % de ces établissements sembleraient s’affranchir.
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